L’organisation médicale MSF très préoccupée par la situation humanitaire en République Centrafricaine

Malgré les soubresauts politico-militaires qui secouent la République Centrafricaine depuis décembre 2012 jusqu’à l’heure actuelle et le pillage de ses nombreux sites, l’organisation médicale Médecins Sans Frontières (MSF) n’a jamais cessé d’offrir gratuitement à la population les soins de santé nécessaires. Cette attitude a retenu l’attention de la Rédaction de l’Agence Centrafrique Presse (ACAP) qui a voulu en savoir davantage, en se rapprochant auprès des autorités de cette organisation. Voici l’intégralité de l’interview accordée à l’agence par le chef de mission de MSF-Hollande, Ellen Van Der Velden, au nom de ses pairs, à savoir : Patricia Trigales, chef de mission de MSF-Espagne et Jordan Wiley, MSF-France.



Agence Centrafrique Presse : A la suite du changement politique intervenu en République Centrafricaine et dominé par les pillages, quel est l’état des lieux au sein de votre organisation ?
Ellen Van Der Velden: Même si MSF a perdu de nombreux outils, nous avons pu poursuivre nos activités grâce à la collaboration entre nos différentes sections. C´est ce qui est plus important pour nous et pour la population.

En dépit des pertes, Médecins Sans Frontières a décidé, contrairement à de nombreuses organisations internationales qui ont plié bagage, de continuer à offrir gratuitement des soins à la population centrafricaine. Pourquoi ?

La situation humanitaire en ce moment a renforcé notre motivation à rester et à poursuivre l’aide médicale à une population déjà très vulnérable, tout particulièrement celle de l’arrière-pays.

Quelles sont les localités dans lesquelles vous intervenez ?

L’organisation médicale MSF intervient dans sept localités ainsi que leurs périphéries. Il s’agit de villes telles que Batangafo, Boguila, Carnot, Kabo, Ndélé, Paoua et Zémio.

Quelles ont été les critères qui ont prévalu au choix de ces villes ?

Le choix de ces villes découle des évaluations que nous avons commanditées. Les localités choisies présentent des caractéristiques humanitaires et sanitaires très graves.

Dans quel cas vous parlez de « site d’urgence » ?

MSF entend par urgence toute situation dans laquelle les capacités locales ne sont pas en mesure de couvrir les besoins existants. Plusieurs enquêtes sur la mortalité ont clairement montré que dans de nombreuses localités, les taux sont en deçà des critères « acceptables ».

Quelles sont les localités qui abritent actuellement les sites dits d’urgence ?

Les sites d’urgence sont établis à Bossangoa, Bouca, Bria et Gadzi. Certes, cette liste n’est pas exhaustive. D’autres endroits mériteraient des interventions d’urgence. Malheureusement, MSF n’a pas la capacité de se rendre partout. Raison pour laquelle, nous lançons un appel à la communauté humanitaire, notamment les agences du système de Nations Unies et les ONGs humanitaires pour qu’ils se déploient sur le terrain afin d’apporter une assistance aux populations vulnérables.

Du point de vue médical, quelles sont les cas de pathologies qui sont traitées dans les sites traditionnelles ?

De façon générale, nous nous concentrons sur les principales causes du taux élevé de mortalité en République Centrafricaine. Ces causes comprennent : le paludisme, les maladies d’infection respiratoire tels que le rhume et la pneumonie, ainsi que les maladies d’origine hydrique telle que la diarrhée. Ces maladies, qui sont pourtant curables, inquiètent la vie d’un grand nombre d’enfants au cas où ils ne subissaient pas de soins appropriés.
A côté de ces cas évoqués, il y a également les complications d’accouchement pour lesquelles nous pratiquons la césarienne.
Enfin, nous offrons des soins relatifs au VIH/sida et à la tuberculose.

Quelles sont les pathologies qui sont traités dans les situations d’urgence ?

Les projets d’urgence sont inhérents au taux élevé de malnutrition et de rougeole. Bien entendu, nous veillons sur les cas de paludisme et les autres maladies que nous avions antérieurement mentionnés.

Quelles sont, de façon ramassée, les statistiques de vos interventions auprès de la population ?

En 2012, MSF a effectué environ 580.000 consultations. Au cours de ces consultations, l’organisation a enregistré 285.000 cas de paludisme. Le seuil le plus élevé de ces cas se situe généralement entre les mois de juillet et aout. Pour l’année en cours, les prévisions indiquent que les taux seront encore plus élevés, en ce qui concerne particulièrement le paludisme, la rougeole et la malnutrition.

Médecins Sans Frontières a pour partenaire prioritaire le Ministère de la Santé. Or, il s’avère que les formations sanitaires n’ont pas échappé aux actes de pillages. Est-ce que vous équipez les centres de santé au sein desquels vous intervenez ?

Pour apporter les soins adéquats à la population, MSF procède de façon générale à la réhabilitation des centres de santé et participe dans le même temps à l’équipement de ces centres en termes de lits, matelas, produits pharmaceutiques, etc.

De quelle manière vous vous approvisionnez en médicaments et en équipements ?

Nous en faisons la commande au niveau international et ils nous parviennent soit par voie terrestre ou par voie aérienne.

Qu’en est-il actuellement des personnes séropositives dont les traitements seraient interrompus ?

Nous sommes au regret de vous apprendre que nous n’avons pas les données actualisées sur ce cas. Et cela nous inquiète beaucoup. Nous savons seulement que les besoins sont toujours plus élevés que les capacités de réponse que MSF peut offrir. A Bossangoa, par exemple, nous avons pu recommencer le traitement de quelque 250 patients du VIH/sida et de la tuberculose. Dans les projets réguliers, le traitement des patients n’a jamais été interrompu.

Qu’en est-il également du calendrier vaccinal de routine ou programme élargie de vaccination (PEV) ?

Dans les localités ou nous intervenons en continu, les jeunes enfants sont régulièrement vaccinés. Mais d’une manière générale, la situation vaccinale est très inquiétante. Raison pour laquelle, MSF est en pourparler avec le Ministère de la Santé publique et de la Population en vue de redémarrer cette activité, surtout en élargissant le protocole vaccinal, en le faisant passer de 12 à 23 mois. L’objectif est de faire bénéficier le programme à un grand nombre d’enfants.

Que saviez-vous de la situation de la malnutrition dans les localités où vous intervenez, surtout que les
prévisions des récoltes sont mauvaises et que les marchés seraient mal approvisionnés ?


Les cas de malnutrition peuvent être observés partout dans le pays. Dans certaines localités, les taux sont plus élevés. Et MSF s’efforce pour y apporter une réponse appropriée.

Vous aviez lancé un appel aux autres organisations humanitaires et agences du système des Nations Unies pour qu’ils se redéployent sur le territoire et soulager les souffrances des populations. Est-ce que vous aviez été entendu ?

Bien avant notre appel, nous avons constaté que certaines agences du système des Nations Unies et ONGs humanitaires se déploient déjà. Seulement, l’ensemble des efforts présentement déployés ne suffisent pas encore pour apporter une réponse en vue d’alléger la souffrance de la population centrafricaine.

La persistance de l’insécurité n’impacte-t-elle pas sur vos activités ?

MSF est une organisation humanitaire. Nos préoccupations et obligations visent à offrir des soins de santé à la population sans aucune distinction de sexe, d’âge, de religion, d’ethnie, d’affiliation politique, etc.

Il subsiste sur le territoire de la République Centrafricaine trois sections de Médecins Sans Frontières, à savoir : MSF France, MSF Espagne et MSF Hollande. De quelle manière vos activités sont-elles coordonnées, pour éviter les chevauchements ?

Les trois sections de MSF travaillent sous le même mandat, le même logo et bénéficient d’un même financement qui est d’origine privée. Les gestionnaires des trois sections se réunissent fréquemment afin de maximiser la collaboration en faveur des patients. Au cas où nous identifions un nouveau foyer d’urgence, les représentants de toutes les sections se réunissent pour une décision commune et voir dans quelle mesure y affecter une section.

On parle de ce que MSF participe également à résorber le chômage en République Centrafricaine. Combien de personnes l’organisation a-t-elle recruté jusque-là et qui œuvrent aux côtés du personnel expatrié ?

Plus d’un millier de personnel national (médical, logistique et administratif) font partie de l’équipe MSF en République Centrafricaine. En plus, nous appuyions plusieurs Comité de Gestion des unités de médicaments (COGES) qui, à leur tour, recrutent plusieurs centaines de personnes.

Sans trop rentrer dans vos méandres, quel est le budget annuel de fonctionnement de l’organisation ?

MSF a un budget annuel d´environ 13 milliards de FCFA soit quelque 20 millions d’euros.

Mme, au nom de l’équipe de l’ACAP, nous vous remercions.

Samedi 14 Septembre 2013
Propos recueillis par Alain-Patrick MAMADOU / ACAP
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